Bonjour à tous,
le prochain séminaire de l'équipe CLLE-ERSSàB aura lieu le jeudi 14 février de 15h30 à 17h30 dans la salle Jean Borde de la maison des sciences de l'homme (MSHA).
Nous y écouterons Benjamin Fagard (Laboratoire Lattice CNRS, ENS & Université Paris 3 Sorbonne nouvelle PSL & USPC) qui fera un exposé suivi d'une discussion sur le sujet suivant:
Parler d'autre chose : le marquage des changements de topique
Bien cordialement,
Frédéric Lambert
Résumé
Le discours n’est pas toujours linéaire. Quand on change de sujet, on peut choisir de le taire, ou de le signaler plus ou moins explicitement[1], par exemple à l’aide de marqueurs comme d’ailleurs, par ailleurs, en tout cas, entre parenthèses. Dans ce cas, comment se fait le choix du marqueur ? Qu’est-ce que les locuteurs convoquent pour indiquer les changements de topique ? Ces questions sont au coeur d’un projet de recherche dirigé par Michel Charolles et financé par le labex TransferS (http://www.transfers.ens.fr/marqueurs-de-changement-de-topique-de-discours).
D’ailleurs a davantage attiré l’attention des commentateurs (Ducrot 1980, Luscher 1989, 1994, Paillard 1991, Franckel et Paillard 1997, Portine 2001, Rossari 2007) que par ailleurs, dont Luscher (1989) montre cependant qu’il est fortement digressif. J’aborderai principalement, dans cette présentation, la question de la grammaticalisation de par ailleurs en marqueur de changement de topique, sur la base de Fagard & Charolles (2018 ; cf. aussi Lammert 2012), afin de montrer que le sens d’origine est bien spatial (‘par un autre endroit’, exemple (1)), et de préciser les modalités du passage au sens discursif (‘pour parler d’autre chose’, exemple (2)).
- tout estoit assemblé, le roy estoit beaucop trop foible par la mer. Par ailleurs fit le roy de Castille peu de dommaige au roy. (Philippe de Commynes, Mémoires, 1490-1505)
- Les opprimés doivent y trouver l’évocation de leur patrie à eux, qui est une espérance. Mais par ailleurs le marxisme a gravement altéré cet esprit de révolte qui, au siècle dernier, brillait d’un éclat si pur dans notre pays. (Simone Weil, Œuvres, 1929-1943)
Je proposerai ensuite une réflexion sur d’autres origines possibles pour ce type de marqueur, à partir d’une étude contrastive sur le corpus Europarl : si par ailleurs est un bon exemple de marqueur de changement de topique, quels sont ses équivalents dans d’autres langues ? Je montrerai que deux sources se distinguent, dans toutes les langues considérées : les additifs (Forker 2016) et – sans surprise, cf. Fagard & Sarda (2014) – les marqueurs d’origine spatiale.
Références
Ducrot, O. (1980). Les mots du discours. Paris: Minuit.
Fagard, B. & M. Charolles. (2018). Ailleurs, d’ailleurs, par ailleurs : De l’espace à l’humain, de l’humain au discours. Journal of French Language Studies, 28(3), 351-375.
Fagard, B. & L. Sarda. (2014). From local adverbials to discourse markers: Three case studies in the diachrony of French. In: L. Sarda, S. Carter-Thomas, B. Fagard et M. Charolles (eds.), Adverbials in Use. From Predicative to Discourse Functions, Louvain-la-neuve: UCL Editions, pp. 203-238.
Franckel, J.-J. et Paillard, D. (1997). Représentation formelle des mots du discours. Le cas de D’ailleurs, Revue de Sémantique et de Pragmatique, 1: 51-64.
Lammert, M. (2012). Où est ailleurs ? Sémantique lexicale de l’adverbe spatial ailleurs. CORELA H-S 12, http://corela.revues.org/2801 ; DOI : 10.4000/corela.2801.
Luscher, J.-M. (1989). Connecteurs et marqueurs de pertinence. L’exemple de d’ailleurs. Cahiers de linguistique française, 10: 101-145.
Luscher, J.-M. (1994). Les marques de connexion. Des guides pour l’interprétation. In: J. Moeschler (ed.), Langage et pertinence, Nancy: PUN, pp. 175-228.
Paillard, D. (1991). D’ailleurs ou comment enchaîner l’un à l’autre. Le Gré des Langues, 2: 60-65.
Pons Bordería, S. and M. Estellés Arguedas. (2009). Expressing digression linguistically: Do digressive markers exist? Journal of Pragmatics, 41: 921-936.
Portine, H. (2001). Grammaticalisation de l’altérité spatiale : d’ailleurs et l’assertion allocentrée. In: G. Col et D. Roulland (eds.), Grammaticalisation 2 Concept et Cas, Rennes: PUR, pp. 247-266.
Rossari, C. (2007). Les moyens détournés d’assurer son dire. Paris: PUPS.
[1] Si l’on admet, bien sûr, l’existence de ce type de marqueurs, cf. Pons Bordería & Estellés Arguedas (2009).