La prochaine séance du séminaire CLLE-ERSSàB 2016-2017 aura lieu le lundi 20 février 2017 de 15h30 à 17h30 en salle E 206.

Jean Léo Léonard, Professeur  à l'Université Paris-Sorbonne (EA 4509) présentera un exposé sur le thème suivant:

Classes flexionnelles méso-américaines et diasystème : polarités et gradients typologiques. Facteurs internes et externes.

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Résumé:

La Méso-Amérique (du centre-nord du Mexique au Nicaragua) est une zone caractérisée par la forte prépondérance de paramètres typologiques comme la concentricité (type Head Marking), les ordres VOS et VSO, la polyvalence des racines lexicales, et des systèmes verbaux complexes, à classes flexionnelles (CF).

Nous étudierons les systèmes de CF du point de vue de leur variation diasystémique dans trois familles linguistiques principalement : otomangue (langues popolocanes, mixtécanes et zapotécanes), popoloca-tepehua et maya, et au sein d’un isolat (huave, ou ombeayiiüts, cf. Léonard 2014), avec des données de première main (projets MAmP 2009-14, PPC11 & EM2 Labex EFL 2011-) – nous nous réservons cependant la latitude d’augmenter le champ d’observation empirique au-delà de ces seules langues ou familles, avec des données de seconde main.

On distinguera entre trois principaux blocs de règles, selon le modèle PFM (Paradigme Function Morphology, cf. Stump 2001 ; Stewart & Stump 2007, Bonami & Stump. 2014.) : RCR (Règles de Choix de Radicaux, ou niveau de génération de stems ou thèmes, au niveau du lexème), RE (Règles d’exponence : niveau affixal et clitique) et RMP (Règles morphonologiques : au niveau postlexical), en s’interrogeant sur la cyclicité et la hiérarchisation de ces conditions de bonne formation des unités contenues dans les matrices taxinomiques (ou modèles CF) – voir par exemple, pour le mazatec Léonard & Kihm 2010[1], 2012, 2014).

Non seulement ce survol nous permettra de transcender des poncifs de la typologie morphologique (« agglutinance », « fusion », etc.), mais aussi de montrer comment et pourquoi une question centrale en typologie des langues est moins la notion d’implication structurelle greenbergienne que celle d’agencements cycliques de solutions combinatoires incrémentielles vs. inférentielles, mais aussi « gnoséologiques » (par réinterprétation ou « réforme » des structures hérités : cf. Pozdniakov 2013[2]), faisant jouer les RCR, les RE et les RMP, en … Redistribuant les cartes – les complexes de traits et les contraintes pesant sur les combinatoires formatives.

Autrement dit, la modularité des blocs formatifs a des effets aussi bien systémiques qu’épisystémiques ou épigénétiques – et ce, en termes constructivistes, tant pour le locuteur dans ses représentations morphologiques que pour le linguiste dans ses analyses et ses partis pris notationnels.

Dans la logique de poupée gigogne qui est celle d’une théorie modulaire comme PFM, lequel des trois précède quoi (ou prime sur quoi) dans le trio RCR, RE, RMP ? Dans quelle mesure la modularité l’emporte sur la systémicité, avec des effets rétroactifs sur le système même ? Que reste-t-il de l’hypothèse des universaux implicationnels de Joseph Greenberg ? Simple truisme ? Ou bien n’a-t-elle pas un rôle à jouer en amont, dans la construction et la hiérarchisation des modèles de complexité morphologiques ? Nous récupérerons en effet des modèles implicationnels en amont, mais ils s’appliqueront à des effets de cascade diasystémique locale plutôt que de cascade typologique universaliste.

Enfin, nous conclurons sur les facteurs externes de la complexité des diasystèmes flexionnels méso-américains, dans la mesure où ce plan est très informé par l’anthropologie culturelle et l’ethnohistoire. Nous verrons que, même si des effets d’écologie des langues peuvent jouer un rôle non négligeable dans la diversification des systèmes flexionnels dans l’espace et dans le temps, les effets de certains paramètres retenus localement par les langues peuvent s’avérer plus ou moins décisifs, par déterminisme interne.

L’une des principales hypothèses proposées pour continuer la recherche dans ce domaine encore sous-exploré de la diversité des systèmes de CF dans les langues du monde sera de recentrer la réflexion sur les modèles gnoséologiques (réanalyse, réinterprétation, réfection, supplétion, réalignement, relevant de la vicariance au sens large, cf. Berthoz 2013) des locuteurs, et d’accepter également que les systèmes morphologiques sont aussi riches en variation mais aussi en indicialité socio- ou ethnolinguistique que les systèmes phonologiques. Une variation prise dans le tourbillon de la moulinette gnoséologique – l’un des grands facteurs d’innovation et d’évolution des systèmes linguistiques.

Vicariance et variation seront les deux maîtres-mots de notre approche pour aborder une phénoménologie complexe, et battre en brèche diverses formes de réductionnisme en typologie linguistique autant qu’en écologie diasystémique (Léonard 2016).

 

Références :

Berthoz, Alain 2013. La vicariance. Le cerveau créateur de mondes, Paris, Odile Jacob.

Bonami, Olivier & Gregory Stump. 2014. Paradigm Function Morphology. The Cambridge Handbook of Morphology. Cambridge University Press. Cambridge: Andrew Hippisley and Gregory T. Stump.

Jamieson, Carole Ann, 1982. “Conflated subsystems marking person and aspect in Chiquihuitlán Mazatec verb”, IJAL 48(2), p. 139-167.

Léonard, Jean Léo & Alain Kihm, 2010. “Verb inflection in Chiquihuitlán Mazatec: a fragment and a PFM approach”, in Müller S. (ed.), Proceedings of the HPSG10 Conference. CSLI Publications (available online on http://csli-publications.stanford.edu/).

Léonard, Jean Léo & Alain Kihm, 2012. “Classes flexionnelles du mazatec et diasystème. Empirisme critique et formalisation”, Bulletin de la Société de Linguistique de Paris 56, p. 379-446.

Léonard, Jean Léo & Alain Kihm, 2014. “Mazatec verb inflection: A revisiting of Pike (1948) and a comparison of six dialects”, Patterns in Mesoamerican Morphology, Paris, Michel Houdiard Editeur, p. 26-76.

Léonard, Jean Léo 2014. « *CVCV & CVCV en ombeayiüts (huave) : éléments polylectaux », 7 février 2014, journée d’études Lire Tobias Scheer, Université de Paris 8. Diaporama et résumé accessibles en ligne sur https://sites.google.com/site/rtsfrench/

Léonard, Jean Léo 2016. « Flux de variation, auto-organisation, émergence : le diasystème comme système complexe », conférence plénière au IVème Congrès International de Dialectologie et de Sociolinguistique, CIDS 2016 Paris-Sorbonne, 7-9 septembre 2016. A paraître dans les Actes, co-édités par Mejri Salah, Philippe Monneret, Inès Sfar et Olivier Soutet.

Pozdniakov, Konstantin 2013. « Protolanguage and prototype : a “proto-letter” and a “proto-spirit” in noun classes of Niger-Congo”. Histoire Epistémologie Langage, 35/1:65-82.

Stewart, Thomas & Gregory Stump. 2007. Paradigm function morphology and the morphology-syntax interface. Linguistic Interfaces. 383–421.

Stump, Gregory T. 2001. Inflectional morphology: a theory of paradigm structure. (Cambridge Studies in Linguistics 93). Cambridge ; New York: Cambridge University Press.

[1] Accessible sur https://web.stanford.edu/group/cslipublications/cslipublications/HPSG/2010/leonard-kihm.pdf

[2] Accessible sur http://pozdniakov.free.fr/